QUÉBEC, le 19 juin 2024 /CNW/ - Les procédures
judiciaires étant terminées, le Directeur des poursuites
criminelles et pénales (DPCP) expose les motifs l'ayant mené à
conclure, dans son communiqué intérimaire du
21 juin 2023, que l'analyse de la preuve ne révélait pas
la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la
Sûreté du Québec (SQ).
Cette décision faisait suite à l'examen du rapport produit par
le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI) en lien avec l'événement
survenu à Stukely-Sud le 12 juin
2022 entourant le décès d'une femme.
L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI avait été
confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales
(procureure). Cette dernière avait procédé à un examen complet de
la preuve, ainsi que celle présentée devant le tribunal, afin
d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révélait
la commission d'infractions criminelles. La procureure a rencontré
et informé les proches de la personne décédée des motifs de la
décision.
Événement
Le 12 juin 2022 vers 17 h 15, à Stukely-Sud, un policier de la SQ de la MRC de
Memphrémagog intercepte un véhicule après avoir constaté que le
conducteur ne porte pas sa ceinture de sécurité. Le policier
demande au centre de gestion des appels (CGA) de la SQ d'effectuer
certaines vérifications concernant le conducteur. Au cours de
l'intervention, l'homme a un comportement étrange et tient des
propos décousus et menaçants. Il somme un véhicule de s'arrêter et
demande au conducteur de les filmer avec son téléphone sous
prétexte que le policier voulait le battre. L'homme demande au
policier d'entrer dans son véhicule de patrouille, ce que fait le
policier afin de désamorcer la situation. Le policier décide de ne
pas donner de constat d'infraction et un avertissement est fait à
l'homme.
L'homme repart en trombe avec son véhicule sur environ 150
pieds, pour ensuite circuler en marche arrière en direction du
véhicule de patrouille. Le véhicule de l'homme passe à côté du
véhicule de patrouille, toujours en marche arrière et poursuit sa
route. Le policier perd ensuite de vue le véhicule en raison d'une
courbe de la route.
Quelques minutes plus tard, le policier appelle son superviseur
sur les ondes radio pour lui faire part de la situation. Ce dernier
demande à ce que l'homme soit retrouvé afin d'évaluer son état
mental et sa dangerosité. Il demande aussi l'assistance policière
du poste voisin de la MRC de La Haute-Yamaska et quitte
Stanstead où il se trouve à ce
moment pour se diriger vers Stukely-Sud. Il faut environ 36 minutes pour
parcourir cette distance en véhicule.
À 17 h 31, une femme appelle
au 911(1er appel) pour signaler la présence d'un
véhicule circulant à haute vitesse sur une route à Stukely-Sud. Elle mentionne à la répartitrice
qu'elle croit qu'il s'agit du même individu qui s'est fait
intercepter par la police un peu plus tôt, dont elle a vu
l'interception en circulant sur la route. La route concernée se
termine par un cul-de-sac.
À 17 h 37, un second appel (2e appel)
est fait au 911 par une autre femme. Celle‑ci est en détresse,
vraisemblablement attaquée par un homme inconnu. Elle mentionne que
« le monsieur qui s'est évadé » est dans son chalet et
lui court après. On entend la voix d'un homme demandant les clés
d'une voiture ainsi que les cris de douleur d'une femme et des
bruits sourds. Quelques instants plus tard, la femme ne répond plus
aux questions du répartiteur du 911 qui transfère alors l'appel au
CGA de la SQ. L'écoute de cet appel et le relevé cellulaire du
téléphone de la femme permettent de conclure que la communication
n'a pas été interrompue et qu'un homme s'adresse maintenant à un
répartiteur de la SQ. L'homme indique qu'il y a un policier qui a
menacé de le battre dans le bois. Il mentionne « C'est lui ou
moi, y'allait me descendre ». Il croit que son appel est
la seule chose qui peut le sauver. L'adresse de ce
2e appel 911 est localisée et se trouve à
Stukely-Sud. Le répartiteur de la
SQ poursuit la conversation avec l'homme.
À 18 h 07, le véhicule de l'homme est découvert,
enlisé au bout d'une route, non loin de l'adresse où le
1er appel 911 a été localisé. Personne ne se trouve dans
les environs.
Le superviseur arrive à 18 h 14 à l'adresse du
2e appel 911 et
constate qu'il y a un véhicule sur place. À la suite de
vérifications, il constate que le nom de la femme propriétaire du
véhicule est associé au numéro de téléphone ayant servi à faire le
2e appel 911. Le superviseur ignore tout lien entre la
propriétaire du véhicule et l'homme ayant parlé au répartiteur
du 911 immédiatement après la femme en détresse.
À 18 h 34, le superviseur affirme sur les ondes radio qu'il n'y
a personne dans la résidence ni aux alentours de l'adresse. Une
demande de géolocalisation du téléphone cellulaire de la
propriétaire du véhicule est ensuite faite. Le retour indique que
celui-ci se trouve dans un rayon de 28 mètres de ladite
adresse.
À 18 h 52, une autre femme contacte le 911
(3e appel) et indique, en panique, qu'un homme
inconnu se trouve dans sa résidence située à Stukely-Sud et qu'il veut la tuer. Elle
réussit à fuir à l'extérieur pendant que son mari tente de
raisonner l'homme.
Se trouvant à proximité, le superviseur ainsi que deux
policiers, dont celui ayant fait l'intervention sur la route,
arrivent quelques minutes plus tard sur les lieux. Ils localisent
l'homme sur le balcon avant de la résidence alors qu'il discute
avec le conjoint de la femme venant tout juste de contacter le 911.
Le superviseur discute avec l'homme et tente de découvrir son lien
avec la femme dont il semble avoir utilisé le téléphone.
À 19 h 07, une seconde demande de géolocalisation du téléphone
cellulaire concerné est demandée. Le retour indique que celui-ci se
trouve à environ 800 mètres de l'adresse où se trouvent alors les
policiers en compagnie de l'homme.
Pendant ce temps, la discussion se poursuit pendant près
d'une heure avec l'homme qui tient des propos étranges et
incohérents. Ses propos inquiètent le superviseur qui, préoccupé
par la sécurité de la femme ayant fait le 2e appel
au 911, demande à l'un des policiers de retourner à l'adresse
où avait été observé le véhicule de cette femme.
L'homme accepte finalement d'être transporté à l'hôpital pour
une évaluation psychiatrique et l'ambulance quitte à 20 h 08 en
direction d'un centre hospitalier à Sherbrooke.
À 20 h 32, le corps d'une femme inanimée est retrouvé
sur le terrain de la résidence où le 2e appel
au 911 avait été localisé. La preuve révèle que le corps de la
femme, se trouvant dans la végétation en bordure d'une allée en
gravelle reliant la résidence à la route, n'était pas visible au
moment de la vérification effectuée plus tôt. Des procédures de
réanimation sont effectuées sans succès et le décès de la femme est
constaté sur les lieux.
La pathologiste conclut que le décès est attribuable à un
traumatisme contondant à la tête.
La preuve révèle que la première partie du
2e appel fait au 911 par la femme en détresse
n'a pas été portée à la connaissance du CGA de la SQ ou des
policiers. Les seuls propos alors transmis aux policiers sont ceux
de l'homme disant avoir été battu par un policier.
Le 7 mars 2024, l'homme a été déclaré non criminellement
responsable de l'homicide de la femme.
Analyse du DPCP
À la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne
révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les
policiers de la SQ impliqués dans cet événement.
Le Directeur des poursuites
criminelles et pénales
Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites
criminelles et pénales indépendant de toute considération de
nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du
processus judiciaire tout en assurant la protection de la société,
dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt
public, de même que dans le respect de la règle de droit et des
intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.
Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et
impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant
l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la
directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que
doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du
principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet
faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la
culpabilité de l'accusé devant le tribunal.
La décision de poursuivre ou non est une décision
discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses
obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou
politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce
n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible
faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui
permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de
déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui
appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des
recommandations concernant les méthodes d'intervention
policière.
La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas
porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère
exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.
SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales